NĂM CUỐI CÙNG

của

 TRẦN ĐỨC THẢO

 

(Trích từ: Dosse, François. Paul Ricoeur, Le Sens d’Une Vie [Paul Ricoeur : Ý Nghĩa Một Cuộc Đời]. Paris: La Découverte, 1997. Tr. 209-210. Tựa đề của Phạm Trọng Luật).     

 

Ricoeur n’a pas été le seul à introduire la phénoménologie husserlienne en France. Outre Merleau-Ponty, dont nous avons évoqué l’oeuvre maî­tresse sur la perception, il est un autre introducteur de Husserl qui a joué un certain rôle en ces années cinquante, c’est le communiste vietnamien Trân Duc Thao. Né en 1917, formé au lycée français de Hanoi, il poursuit ses études au lycée Louis-le-Grand, puis à Henri-IV, avant d’entrer à l’ENS d’Ulm. Agrégé de philosophie en 1943, il se lance avec passion dans l’étude de Husserl. Il adhère au Parti communiste et défend le Viêt-minh en pleine guerre d’Indochine, ce qui lui vaut quelques mois de prison. Trân Duc Thao essaie de concilier phénoménologie et marxisme et publie son premier ouvrage en 1951[44]. Ce livre connaît un certain retentissement puisque Merleau-Ponty et Roland Barthes s’en font l’écho. Ricoeur fait son éloge dans son article sur la phénoménologie paru dans Esprit [45]. Il y salue surtout une excellente première partie, historique et critique, qui présente l’entreprise husserlienne. Trân Duc Thao se donne pour objectif de démontrer que la phénoménologie est la dernière figure de l’idéalisme, mais un idéalisme qui a la nostalgie de la réalité. Il se fait fort à cet égard de donner une assise matérialiste à la phénoménologie, grâce au marxisme. Certes, Ricoeur ne le suit pas sur ce point et montre au contraire les diffi­cultés incommensurables d’un tel projet, qui prétend «réaliser» la phé­noménologie dans le marxisme. S’il considère que le philosophe vietnamien a raison d’accorder à l’analyse de l’action une place privilégiée, il critique sa survalorisation de la notion de travail qui est envisagée comme un tout (ce qui renvoie à un débat au sein même de la revue Esprit): «Thao veut que la structure du travail réel tienne en germe toute l’intentionnalité du langage et par là tout l’édifice de la raison logique [46]».

 

  Appelé à devenir un philosophe écouté en France, Trân Duc Thao choi­sit pourtant un autre destin. Son pays conquiert son indépendance au terme de la conférence de Genève en 1954. Il part pour Hanoi où il devient en 1956 doyen de la faculté d’histoire. Très vite victime d’un régime qui révèle son totalitarisme, il est interdit d’enseignement deux ans seulement après son arrivée, qualifié de «trotskiste», un chef d’accusation particulièrement grave. Il est réduit à l’impuissance par le gouvernement vietnamien, et confiné à des travaux alimentaires de traduction [47]. Son destin se termine tragiquement en France, où il revient en 1992. Jean­-Toussaint Desanti met en contact Trân Duc Thao avec Thierry Marchaisse, éditeur responsable de «L’ordre philosophique» au Seuil. Trân lui explique qu’il a pris parti pour la perestroika de Gorbatchev dès le milieu des années quatre-vingt, mais que le départ du numéro un soviétique a provoqué un changement dans la direction du PC vietnamien. La ligne qu’il incarnait s’est trouvée soudainement condamnée: «Ils m’ont envoyé en France pour y passer en jugement [48]». On lui procure alors un «aller simple» pour Paris, où il doit être déféré devant un tribunal formé par des cadres communistes du PCF: «Tout s’est passé dans les règles. On m’a laissé parler. J’ai dû plaider une cause, très longuement. Seulement, la partie était perdue d’avance... J’ai donc été condamné et exclu comme traître [...]. Et, le verdict à peine rendu, je recevais du Viêt-nam une lettre m’apprenant la confiscation de tous mes biens et me faisant savoir que j’y étais personna non grata. Me voilà donc à la rue, sans argent, sans appui et coincé en France pour le restant de mes jours [49]».  Est-ce là l’expression d’une paranoïa entretenue par un régime fondé sur la peur ou y a-t-il eu réellement procès de Moscou à Paris visant un Vietnamien? Nul ne peut le savoir vraiment, d’autant que «l’horloge du temps s’était arrêtée pour lui au début des années cinquante [50]». Se sentant traqué, Trân Duc Thao émit le souhait de rencontrer un des rares philosophes en qui il avait pleine confiance: Ricoeur. Thierry Marchaisse écrit donc immédiatement à Ricoeur pour solliciter de sa part une entrevue, dont il recevra ensuite ce compte rendu de Ricoeur: «J’ai rencontré Thao il y a quelques semaines et cette rencontre m’a bouleversé à mon tour. Je ne sais pas ce qui relève de la fabulation ou de la persécution dans des rapports de toutes façons pervertis par la peur et par le mensonge [...]. J’ai eu l’impression d’un homme menacé de mort... Je ne sais pas de quoi nous sommes vérita­blement responsables [51]». Peu de temps après, au printemps 1993, la pâle silhouette de Trân Duc Thao s’éteignait à Paris.

 


 

[44] Trân Duc Thao. Phénoménologie et Matérialisme Dialectique.  Paris: Minh-Tân, 1951.

[45] Paul Ricoeur. Sur la Phénoménologie. Art. cité.

[46] Ibid. P. 833; p.153.

[47] Informations tirées d’un document inédit de Thierry Marchaisse, Tombeau sur la mort de Trân Duc Thao.

[48] Trân Duc Thao, cité par Thierry Marchaisse. Ibid.

[49] Ibid.

[50] Thierry Machaisse. Tombeau sur la mort de Trân Duc Thao. Op. cit.

[51] Lettre de Paul Ricoeur. Ibid.

 

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